Le premier hiver dans les tranchées
Le premier hiver dans les tranchées
Le 9 décembre, parti de Ventelay à 17 heures, le régiment fait mouvement pour remplacer le 110ème ri dans les tranchées de la rive droite de l’Aisne dans le secteur de la ferme de la Pêcherie. Commencée à 21 heures, la relève se termine à 23 heures.
1 1er bataillon et 2 sa compagnie de réserve, 3 le 3ème bataillon et 8 sa compagnie de réserve, 4 le PC du régiment, 5 et 6 le 2ème bataillon, 7 poste de secours, 9 le canal de l'Aisne et le pont vers Bouffignereux.
A partir du 1 janvier 1915, ce village sera choisi comme lieu de repos du bataillon mis en réserve
Carte extraite du JMO du 148ème ri en janvier 1915
Joseph Degaugue à la 5ème compagnie est présent dans les tranchées autour de la ferme le Pêcherie, il témoigne « tranchées le long de la Pêcherie, quel confort ! Une table, de la paille, des étagères une cheminée et une porte » ! Une cagna bien aménagée par les précédents occupants. Il déchantera vite.
Les relèves, hebdomadaires, entre bataillons, 1ère ligne, 2ème ligne puis repos à Bouffignereux « après avoir fait 12 km avec un sac énorme sur le dos » se plaint le soldat, se font de nuit. Le régiment s’installe dans ce que l’on appelle la guerre de tranchées ou dite également guerre de positions : « l’on se familiarisait peu à peu avec ce monde de stabilisation que quelques mois auparavant, nul n’aurait prévoir » nous apprend l’historique du régiment.
« Rien à signaler » lit-on, pour cette période, à de très nombreuses reprises dans le JMO du 148 ème ri. « Rien de particulier à signaler » tout est relatif !
Un exemple de page... rien à signaler malgré des morts et des blessés!
Si les combats meurtriers d’octobre et de novembre font partie du passé, le quotidien des hommes n’est pas sans dangers. L’ennemi est toujours bien présent et son artillerie lourde tout autant efficace. Les nombreux pilonnages font des victimes, les bombes et autres torpilles tuent, blessent des hommes et fragilisent voire détruisent les retranchements ;« au cours de l’après-midi une batterie de 77 et un minnenwefer exécutent un tir particulièrement violent sur les tranchées B et C et démolissant en partie la C. Dans la tranchée B, l’adjudant Germain de la 12ème et 4 hommes sont blessés ». Le soldat Caffiaux Henri est considéré comme disparu. Enseveli par l'expolsion d'un obus? Son corps sera retrouvé et inhumé dans l'ossuaire de Pontavert.
Mais ces bombardements font d'autres victimes
Ce que commente J.D. dans son carnet : « Les Boches bombardent avec des obus de 130 qu’on n’entend pas arriver, le dernier passe par la porte d’un abri, au milieu de joueurs de cartes et tue Marécaux (la tête broyée), Brichant (la ½ de la face enlevée) Leriche (shrapnell dans le cerveau) Huchette grièvement blessé et encore d’autres ».
voir http://148emeri.canalblog.com/archives/2021/02/06/38800402.html
Outre les obus, le feu des mitrailleuses et des tireurs « juchés dans les arbres du bois voisin » font des victimes. « Les Boches doivent se servir de mitrailleuses pour tirer sur tout ce qui dépasse des tranchées tant leur tir est précis », « un soldat blessé mortellement à la tête d’une balle n’a pu être secouru et est mort quelques heures après », quant au lieutenant Briatte, il est également victime d’une balle d’un tireur embusqué, une balle au front alors qu’il observait par un créneau les lignes ennemies.
Mort du sous-lieutenant Briatte, victime de ce que l'on appelle de nos jours, un "sniper"
Il faut continuer à combattre et à défaut d’engagements, il faut aller au contact de l’ennemi, nombre de patrouilles sont poussées vers les lignes ennemies. J. D raconte : « Je vais volontairement en patrouille. Nous rampions dans la boue, parmi les morts (du 110ème ri) jusqu’au réseau de fils de fer boches. Nous essuyons des coups de feu et de nombreuses fusées». Malgré le clair de lune, des patrouilles partent.
Et toujours ces....« Rien à signaler »!
Curieusement, le secrétaire du régiment ne considère pas qu’il faille relater les nombreuses patrouilles, 31 dénombrées et détaillées pour le 148ème ri dans le journal des opérations de la division.
Trois relations de patrouilles dans le JMo de la Division
Et pourtant ces missions périlleuses, sont instructives : rechercher des informations sur les tranchées ennemies, « faire » des prisonniers, évaluation des travaux entrepris par l’ennemi, repérage des nouvelles défenses ennemies, évaluer l’importance des réseaux de fil de fer.
Ainsi, rien que le 3 janvier, trois patrouilles ont été lancées vers les tranchées ennemies de la route nationale 44 ( Laon- Choléra-Berry-au-Bac– Reims) dans le but de « faire des prisonniers ».
- 1 adjudant 1 sergent 2 caporaux et 9 hommes : mission reconnaître une tranchée allemande au SE du choléra et faire un prisonnier. Cette patrouille a essuyé des coups de feu et si elle n’a pu capturer un soldat allemand, elle a constaté que des travaux nouveaux sont exécutés au SE de choléra.
- 1 sous-lieutenant, 1 sergent 1 caporal et 10 hommes : mission reconnaitre les premières tranchées allemandes de la ferme du choléra, estimer leur occupation et tenter d’enlever une sentinelle. Cette reconnaissance a essuyé des coups de feu et quelques projectiles de 77 ont éclaté dans son voisinage. Elle n’a pu faire de prisonnier mais elle a constaté que cette tranchée était protégée par un réseau de fil de fer très dense avec des piquets de hauteur inégale et d’une profondeur de 20 m environ
- 1 sergent 1 caporal et 6 hommes : mission reconnaitre si des travaux ont été exécutés dans le secteur compris entre le ravin de la Miette, la route 44 et la route de Pontavert. Cette patrouille a constaté que l’ennemi n’avait exécuté aucun nouveau travail dans cette région.
Toutes ces reconnaissances sont allées jusqu’à proximité des tranchées et ont essuyé de nombreux coups de feu. « Elles se sont en général repliées sur la menace d’enveloppement de forces très supérieures. ». Le danger d’être blessé, tué ou capturé est réel pour ces téméraires, le soldat A. Delepine ne revient d’ailleurs pas d’une de ces sorties, il est capturé le 4 février, les soldats Vaugrenard est blessé et Sulman blessé mortellement.
Le récit dans le JMO de la Division
Dans le Jmo du 148ème, un récit plus détaillé. Le seul!
Le capitaine Treca (2ème cie) qui occupe la tranchée NOPQ donne au sergent Walgraffe, accompagné du caporal Boidin et de 5 hommes, mission de reconnaître le secteur compris dans l’angle formé par les routes Pontavert-Le Choléra-Berry-au-Bac, « d’y rechercher tout poste d’écoute ou patrouille et de l’enlever. Ayant reconnu la présence d’un poste d’écoute occupé par les Allemands près de la ferme de Cholera, la patrouille se précipita vers ce point au cri « En avant à la baïonnette ». L’ennemi se replia par un passage souterrain sous le réseau de fil de fer et ceux occupant la tranchée ouvrirent le feu à moins de 20 m sur la patrouille » blessant deux hommes dont le soldat P. Sulman très grièvement atteint.
« Le sergent Walgraffe et le caporal Boidin le rapportèrent jusqu’à nos lignes sous un feu très violent facilité par les nombreuses fusées éclairantes qui étaient lancées par l’ennemi ». Le soldat Sulman mourra en cours de route.
La carte des travaux réalisés en janvier février 1915. tranchées, boyaux, réseaux de fils de fer....
Que dire des travaux entrepris pour étoffer le maillage défensif du secteur ! La liste est longue : de nouvelles tranchées à creuser ainsi que des boyaux reliant les tranchées avec l’arrière à percer, des abris résistant à l’artillerie à aménager, une gabionnade à édifier, les réseaux de fils de fer à planter, une digue à élever le long de la route, tout cela… la nuit ! Les exemples ne manquent pas. Plusieurs boyaux sont percés dans le secteur compris entre La Miette, Choléra, La Pêcherie, et le Pont de Gernicourt ainsi, le 3 janvier, près du pont de Gernicourt, les hommes creusent un boyau de 2 m de profondeur sur 0.80 m de large et 500 m de long. La nuit du 6 au 7 janvier, deux nouvelles tranchées sont faites, l’une de 110 m et l’autre de 60 m de développement. La fatigue se fait sentir, « les hommes sont exténués » explique J.D. Et d'ajouter: « Je vais planter un réseau de fil de fer avec un caporal. Les Allemands entendent frapper ils nous criblent de balles et lancent des fusées », Et « les corvées pleuvent dru, claies rondins gabions et tôles à amener en première ligne ».
Les travaux sont poussés à l’extrême.
26 janvier : on organise les nouvelles tranchées à portée du ruisseau de la Miette. On poursuit activement la construction de nouveaux abris pour les hommes. Et des travaux sans cesse à recommencer car il faut réparer les dommages causés par le feu de l’artillerie lourde ennemie et redresser les parois dont les terres minées par les pluies continuelles se transforment en boue au fond des tranchées. La gabionnade établie en tête du ruisseau (de la Miette) à 150 m de la route nationale 44 est terminée le 8 février, prise comme cible par l’artillerie ennemie, elle est immédiatement détruite le 9, rétablie dans la journée, elle est a nouveau renversée le 10 et relevée dans la foulée ! Le mythe de Sisyphe s’inviterait-il dans les tranchées ?
Mais l’ennemi le plus à craindre, c’est l’hiver.
Les pluies de décembre, engendrent une crue violente de l’Aisne ainsi que le petit ruisseau de la Miette qui emporte une passerelle posée par les défenseurs. L’eau suinte partout, jusque dans les abris, les pluies sapent les terres qui se transforment en boue obligeant les hommes à de lourds travaux d’évacuation.
Les inondations de l'Aisne et de la Miette
« Chaque nuit, on allonge les boyaux et on réfectionne ceux démolis par la pluie ». « Les boyaux s’écroulent, la terre tombe de tous les côtés ». Malgré ces incessantes réparations, l’occupation de certaines zones pose problème. La digue le long de l’Aisne doit être évacuée. L’inondation s’étend et transforme la Pêcherie en île. La compagnie est obligée d’évacuer évacuer les tranchées à proximité. La situation des hommes devient préoccupante : « grand nombre d’hommes (ont) les pieds gelés en raison du séjour constant dans l’eau ». « Malgré le froid et la pluie, il est impossible de se remuer. Les hommes sont accroupis derrière les gabions, les pieds dans l’eau ».
« Dans les abris de mitrailleuses par suite du relèvement du niveau d’eau, les mitrailleurs ne peuvent plus se tenir que couchés à côté de leurs pièces. Le téléphoniste, assis, a ses piles sur ses genoux ». Les hommes ont de l’eau jusqu’aux mollets, parfois ils remontent leur pantalon jusqu’aux genoux. Et lorsque viendra une légère baisse de niveau de la Miette, « dans les tranchées et les boyaux le niveau d’eau ne baissera pas ». Malgré cette situation, les hommes continuent leurs travaux. Tout comme ses frères d’armes, J.D. souffre de l’humidité, du froid : « l’eau monte jusqu’aux cuisses en certains endroits,… l’eau monte toujours, …l’eau suinte dans les abris. Si les Allemands nous attaquaient, il faudrait les repousser ou mourir car toute retraite est impossible, on serait noyé dans l’Aisne ».
Aux pluies diluviennes succède un froid intense qui fige la nature et glace les hommes. Mi-janvier, le thermomètre indique moins 10°, l’Aisne charrie des glaçons. Les nuits sont froides. Sans pouvoir se bouger pour se réchauffer, de crainte d’être repérés, les hommes, les pieds dans l’eau, attendent la nuit, la relève qui tarde à venir. Beaucoup de malades dans les compagnies. JD en dénombre une quarantaine dans sa compagnie. Le 13 février, le régiment est relevé par des bataillons des 208ème ri et 210ème ri et va bivouaquer dans la région de Ventelay pour y faire partie d’une division provisoire.
Certains se font remarquer par leur comportement au feu
Outre le sergent Walgraffe et sa patrouille que nous avons rencontrés précédemment,
ils sont nombreux à avoir eu un comportement courageux,
Le soldat Vitrant Alcide,
Réparer les lignes téléphoniques sous le feu ennemi
Les téléphonistes Mathieu Cyrille et Renard Maurice, ayant de l’eau jusqu’au ventre et sous le feu ennemi, réparent les lignes. Le soldat Renard est blessé d’un éclat d’obus qui lui traverse le bras. « répare journellement dans les circonstances les plus périlleuses sous le feu de l’artillerie … Insouciant du danger , s’offre toujours pour marcher quand ses camarades hésitent » .
Le sergent Doize
Le médecin auxiliaire Jean Le Coz est blessé dans le poste de secours situé près de la ferme de la Pêcherie. Le médecin auxiliaire est un étudiant qui vient de commencer des études de médecine. N’ayant pas encore les bases nécessaires, il aide les médecins du régiment. Il a selon le nombre d’années d’études, le grade de sergent ou d’adjudant. Il sera encore remarqué en Orient. Nous en reparlerons. Il décède à Brest le 25 juillet 1918.
Faire sauter un poste d'écoute Le sergent Lefèvre et le soldat Leriche
Et dans le JMO de la division…
Le sergent Marée
en 1912
Et tous les autres…
Les pertes
Au nombre de 21 tués, 68 blessés et 2 disparus (un prisonnier et un tué). Des blessés décéderont des suites de leurs blessures et viendront alourdir encore le bilan des morts .
La ferme de la Pêcherie et le cimetière où sont inhumées provisoirement les victimes du secteur
Le lieutenant Briatte
http://148emeri.canalblog.com/archives/2021/02/11/38809385.html
Les joueurs de cartes
http://148emeri.canalblog.com/archives/2021/02/06/38800402.html
La nécropole de Pontavert, les deux rangées des tombes des soldats du 148ème ri.
A Pontavert, Bled Louis, Bertheloot Auguste, Brichant Aimé, Caffaux Henri, (ossuaire), Calvez Joseph, Clotte Lucien, Favier Armand, Legendre Maurice, Leroux Célestin, Robin Paul, Sellin François qui sont morts dans le secteur de la Ferme de la Pêcherie.
Le soldat Nicloux
Nicloux Louis Lucien, né le 31 décembre 1891 à Brevilly (Ardennes) résidant à Vireux-Molhain, fils de Charles et de Barbier Marie, est ouvrier d’usine lorsqu’il est appelé sous les drapeaux. Incorporé le 9 octobre 1912 et arrivé au corps ledit jour comme soldat de 2ème classe. Il passe soldat de 1ère classe le 30 août et caporal le 11 novembre 1914 (? plutôt en 1913). Il est tué le 12 janvier 1915 à la ferme de la Pêcherie. Inhumé provisoirement à la nécropole de Pontavert, il sera exhumé et restitué à sa famille. Il repose au cimetière de Vireux-Molhain. Un secours de 150 fr. est payé à son père le 18 octobre 1919.
Photos au camp de Sissonne
Au nom de tous les blessés
Le soldat Vaugrenard pour son courage dans les missions les plus périlleuses. Blessé au cours de la nuit du 7 au 8 février et le soldat Huchette blessé dans l'abri (les joueurs de cartes) qui décédera des suites de ses blessures.
Disparus
Deux soldats sont déclarés disparus,
L'ossuaire, ils sont 5 du 148ème ri
Le premier, Caffiaux Henri, aurait-il été enseveli suite à un bombardement et le corps retrouvé par après? Il repose dans l'ossuaire de Pontavert.
Une des fiches concernant ce soldat.
Le second, Delepine Aimable, a été fait prisonnier, certainement lors d’une patrouille car il n’y a eu aucun engagement durant cette période.
Aujourd'hui au Choléra
1 le calvaire situé à l'emplacement de la ferme de Choléra, 2 la route Pontavert Ferme de Choléra, 3 la route nationale 44 Reims-Berry-au-Bac - Laon, 4 le secteur occupé par le 148ème ri
Sources
Mémoire des Hommes, JMO de la 1ère division et du 148ème ri et fiches MPLF
Journal officiel lois et decrets, citations
Archives CICR, le soldat Delépine
Soldat Nicloux https://www.europeana.eu/en/item/2020601/https___1914_1918_europeana_eu_contributions_12042
Photos personnelles