Le 15 août 1914, Bouvignes,
Bouvignes, actuellement
Vues de Bouvignes, lignes rouges, positions françaises, la flèche = Dinant
Vue depuis Bouvignes, traits rouges, positions allemandes, la flèche = Houx
La défense du capitaine Roques avec la 11ème compagnie
Des témoins racontent
Certains faits qui n'ont pas échappé aux témoins, des faits que l'on retrouve dans le rapport du capitaine Roques.
Les soldats du 11ème bataillon de jägers investissent les collines de la rive droite mosane. Les défenseurs tirent sur les assaillants. Un canon allemand se met en batterie sur la colline et tire sur le village. Les obus atteignent quelques maisons mais également le château transformé en ambulance et "protégé" par le drapeau de la Croix-Rouge. La riposte de l'artillerie française n'est pas rapide. Ce n'est qu'en début d'après-midi que les batteries françaises ont réellement donné et pris l'ascendant sur l'artillerie allemande. Après le bombardement, les premières troupes allemandes descendent du plateau et s'engagent vers la vallée. "Sur quatre rangs" un détail confirmé par le capitaine Roques dans son rapport. Le château de Bouvignes, propriété de la famille Amand, c'est dans cette demeure que sera installée, à la demande de Madame Amand, une unité de soins pour les soldats blessés. Malgré un drapeau de la Croix-Rouge sur la toiture, la bâtisse sera endommagée par des obus. Heureusement sans conséquence pour les vies des civils et des soldats.
L'artillerie française contrebat la position ennemie, avec succès selon le témoin.
« Lors de l’ouverture du feu, 5 sections, plus la section mitrailleuses, occupent la ligne de feu solidement retranchées derrière le talus du chemin de fer et derrière un abri fait de sacs de terre placé à l’entrée même du pont sur la rive gauche, des créneaux étaient aménagés entre les sacs de terre pour les mitrailleuses qui enfilaient le pont et pour les fusils, une section était placée avec les mitrailleurs derrière cet abri , elle était encadrée de chaque côté de deux sections qui avaient aménagé le talus pour tirer du chemin de fer parallèle à la Meuse. Sur le pont, un réseau de fils de fer barbelés d’environ 20 m de profondeur. En réserve 3 sections complètement à l’abri, l’une en arrière du pont, les deux autres respectivement en arrière de la gauche et de la droite. A la tête d'une de ces sections, le jeune sous-lieutenant Pedehontaa, à peine sorti de Saint-Cyr, promotion Montmirail, qui participera encore au combat de Namur avec sa compagnie et qui, hélas, trouvera la mort à Berry-au Bac.
Extrait du rapport du capitaine Roques
"Mission pour la ligne de feu, empêcher coûte que coûte l’ennemi de franchir le pont, mission pour les sections de réserves contre-attaquer en employant uniquement la baïonnette dans le cas où l’ennemi parviendrait à passer".
La fusillade commença à 8 h 30 avec le crépitement ininterrompu des mitrailleuses (il devait y avoir 6 mitrailleuses devant nous)
À 9h15, l’ennemi a commencé à tirer sur le village sans nous faire aucun mal, un obus mit le feu au château, d’autres ont endommagé un certain nombre de maisons. Aucun homme ne fut atteint et la première surprise passée, l’effet moral fut à peu près nul.
Le combat dura jusque 13heures 05 en se ralentissant fort à partir de 12h 30. Les Allemands (11è bataillon de chasseurs de la garde) se présentèrent sur la crête en colonne par 4 et furent aussitôt saisis à 500 m par la section de mitrailleuses et la section du pont. Ils se dispersèrent immédiatement et n’offraient plus dès lors que des buts très peu visibles sans toutefois, de temps en temps, par quelques bons tireurs, atteindre la mitrailleuse. L’ordre étant d’économiser les cartouches pour le cas où l’ennemi tenterait le passage du pont, "il a été, de notre côté, consommé très peu de munitions, une douzaine en moyenne par soldat ». En début d’après-midi une compagnie du 8ème RI arrive de Sommière pour renforcer le point de défense de Bouvignes.
Péluchon Jean, tué à l'ennemi.
Les pertes de la 11ème compagnie se chiffrent à un officier (lieutenant Péluchon) ainsi que 4 soldats tués, il faut encore ajouter 4 soldats blessés dont un grièvement, Aimé Manesse décèdera des suites de ses blessures quelques jours plus tard.
Manesse André, "trouvé sur lui: porte monnaie avec 2,65fr et une carte d'électeur".
Mort à l'ambulance de Bouvignes, le lendemain de l'occupation allemande (le 24 août), inhumé dans le cimetière de la localité
Le bilan du combat dressé par le capitaine.
Outre ces deux victimes, il faut encore citer
Crinon G.,
Maison A.,
Pierrard G.,
Leroux L.
A l’inverse des autres compagnies du 148ème, la 11ème compagnie ne quittera le théâtre des opérations que le lendemain et ne rejoindra le IIIème bataillon que dans l'après-midi du 16août.
Le capitaine Roques insiste sur le soutien appréciable apporté par la compagnie du 33ème RI ;
Les pertes sont plus importantes à la compagnie du 33 ri. Une des sections de réserve, celle de droite, a été surprise par le feu d’une mitrailleuse ennemie, une quinzaine d’hommes sont tombées, le sous-lieutenant qui commandait a été blessé à l’épaule droite et au bras gauche. Le sous-lieutenant Frimat, chef de la 2ème section rapporte: « une section ennemie se présenta dans mon secteur, je fis ouvrir le feu, cette colonne qui était par colonne par 4 se dispersa aussitôt en tirailleurs. L’ennemi se trouvant sur une crête à environ 500 m caché derrière des buissons, je ménageais les munitions pendant que l’ennemi dirigeait sur nous une fusillade continue tant des tirailleurs que des mitrailleuses que de l’artillerie. Grâce à une forte tranchée pour tirer, ma section est sortie indemne du combat. à 17 heures notre artillerie obligeait l’ennemi à battre en retraite. Les hommes de ma section ont conservé leur calme pendant la durée du combat". "Les caporaux Robinet et Delmont ont de plus obtenu des résultats remarquables dans leurs tirs ».
Caporal Delmont René, fils d'Emile et de Riché Marie, est né à Monthermé le 9 juillet 1890. Il est employé de bureau. Mis en route le 7 octobre 1911 vers le 148ème ri comme soldat de 2ème classe. Caporal le 27 septembre 1912 et renvoyé dans ses foyers le 7 novembre 1913 avec le certificat de bonne conduite. Rappelé le 3 août à la 11ème cie. il est nommé sergent le 29 septembre 1914 puis sergent-major le 17 mars 1915. Il est blessé grièvement le 16 juin 1915 à Quennevières: fracture de la jambe par balle. Evacué vers l'arrière, il ne rejoindra plus le régiment du fait de sa blessure. Il sera versé dans le service auxiliaire par la commission de réforme de Vannes le 12 avril 1916, pour raccourcissement de 4 cm de la jambe droite.
Caporal Robinet Louis, fils de Léon et de Guilloteaux Louise, est né le 1er juin 1891 à Fumay. Il est coiffeur. Incorporé au 148ème ri le 10 octobre 1912 comme soldat de 2ème classe. Nommé soldat de 1ère classe le 30 août 1913 puis caporal le 1er octobre suivant. Il sera blessé grièvement le 30 octobre 1914 à Berry-au-Bac, lors d'un combat au corps à corps, à la baïonnette. Il est victime de coups de crosse et piétinnement. Evacué vers l'arrière, il est soigné du 30 octobre 1914 au 29 octobre 1915. Un an de soins. De retour au dépôt à Vannes, il est nommé sergent le 14 février 1916. Le 148ème ri étant parti en Orient, il sera muté vers le 108ème ri. Il y sera encore blessé lors d'une mission périlleuse.
Le rapport du capitaine Roques. Extrait
Bouvignes, la sortie du pont, le quai de Meuse , la rampe d'accès. Photo allemande prise après le 23 août 1914.
Peluchon Jean
Tué à l'ennemi "est glorieusement tombé pour la France, le 15 /08/1914 à Bouvignes (Belgique) tandis que sans soutien d'artillerie, il résistait crânement à une attaque de la garde allemande".
Extrait de l'Etat civil régimentaire tenu par le sous- lieutenant Lux
"... Acte de décès de Jean Isaïe Albert René Péluchon, lieutenant au 148ème ri, âgé de 35 ans, né à Caubon Saint-Sauveur (Lot et Garonne), domicilié route de Bonsecours à Givet. Décédé le 15 /08/1914 à dix heures du matin sur le champ de bataille de Bouvignes. Conformément à l'article 77 du code civil, nous nous sommes transporté auprès de la personne décédée et assuré de la réalité du décès. Etant très éloigné du champ de bataille, nous n'avons pu nous assurer de la réalité du décès".
Qui est ce lieutenant Péluchon?
Né le 3 janvier 1879 à Caubon-Saint-Sauveur, un petit village dans le département du Lot et Garonne, fils de Jean, instituteur et de Sol Marie-Thérèse, sans profession.
"est comparu Péluchon Jean Albert , instituteur, âgé de 30 ans, domicilé au bourg de cette commune, lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin, né aujourd'hui dans sa maison d'habitation, à onze heures du matin de lui, déclarant, et de Marie Thérèse Angèle Sol, son épouse, âgée de 24 ans, sans profession auquel enfant il a déclaré vouloir donner les prénoms de Jean Isaïe Albert René"
À 18 ans, il devance l’appel de la conscription et le 8/01/97, il signe un engagement de 4 ans (engagé volontaire). Les renseignements physionomiques à son sujet sont laconiques : il taille 1 ;66m, ses cheveux et sourcils sont noirs, les yeux châtains foncé ( ?) front ? (ill), le nez est moyen ainsi que la bouche et le visage ovale. Pas de marques particulières.
Le 10 janvier 1897, il entre au 70ème régiment d’infanterie caserné à Vitré, département de l’Isle et Vilaine comme soldat de seconde classe. Georges Sol, son oncle, le frère de sa maman, y est capitaine. Le jeune engagé passe caporal le 23 août 1897 puis sergent le 23 septembre 1898. Faisant certainement preuve de certaines dispositions, il exerce, entre avril 1899 et mars 1901, les fonctions de sergent-fourrier lorsque la nécessité s’en fait sentir. Son engagement étant terminé, il est mis en congé le 10 janvier 1901. Le voici redevenu civil ! Pour peu de temps. Il signe le 8 juin 1902, un nouvel engagement au 138ème ri avec son grade de sergent. Attiré par la carrière militaire ou influencé par son oncle capitaine au 70ème ri et son beau-frère, lieutenant au 20ème ri, il demande à suivre les cours de l’Ecole militaire d’infanterie à Saint-Maixant. Une école qui permet à des sous-officiers faisant preuve d’aptitudes au commandement d’accéder au grade d’officier. Il y est admis et sortira, promotion 1904/1905, 195ème sur 237 élèves comme sous-lieutenant.
Extrait du Journal officiel de 1904, la publication des résultats des différentes écoles militaires
1er avril 1904, il est affecté au 136ème ri. un régiment caserné à Saint-Lô. Du 14 mai au 15 août 1908, il en est brièvement détaché pour suivre une formation à l’école normale de gymnastique et d’escrime à Joinville- le-Pont
école normale de gymnastique et d'escrime de Joiville-le-Pont.
Entretemps, le 11 novembre 1905, il a convolé en justes noces avec la demoiselle Léglu Thaïs, et ce, avec l’autorisation du général commandant le 10ème corps d’armée. Georges Sol, oncle du côté maternel du marié, chevalier de la Légion d'Honneur, chef de bataillon au 132ème ri et Eugène Coadit, beau-frère du marié, lieutenant au 20ème ri signent comme témoins.
1911, nouvelle affectation. Il mute vers le 128ème RI. De nouveau, il suit une formation, du 1er janvier au 4 février 1912, au tir cette fois, dans le camp d’entraînement du Ruchard.
Il passe lieutenant et, le 8 avril 1914, « par décision ministérielle », est muté, « pour motif de service », vers le 148ème RI qu’il rejoindra le 4 août 1914.
Il est affecté comme lieutenant dans la 11ème cie du capitaine Roques. Quelques jours par après, il connaîtra un sort funeste en défendant la passerelle de Bouvignes.
Quelques documents et photos le concernant
Sa fiche sur Mémoire des Hommes
Citation dans le Journal officiel. En 1920, il sera décoré, à titre posthume de la Légion d’Honneur: "chevalier de la Légion d'Honneur. Croix de Guerre avec étoile vermeil".
Curieusement, Jean Péluchon ne figure pas sur le monument aux morts de sa commune. Une plaque commémorative de tous les citoyens de Caubon Saint-Sauveur ne reprend pas son nom.
Photos M. Bazias
En revanche, il est repris sur le monument aux morts de Meilhan sur Garonne, un bourg voisin. Mais sous le prénom de René. Une trace de son inhumation à Bouvignes.
Le monument aux morts de Meilhan sur Garonne
La tombe dans le cimetière militaire de Dinant (Belgique)
Saint-Maixant l'Ecole, sur la façade du musée militaire, plusieurs plaques commémoratives reprenant les noms des officiers, formés à cette école, tombés entre 1914 et 1918
La plaque de la promotion 1904
Photos personnelles
Sa fiche matricule extraite des archives départementales du Lot et Garonne,
peu fournie en informations.
Son dossier officier aux archives de Vincennes
L'acte de décès retranscrit dans le registre des décès de la Mairie de Caubon Saint-Sauveur.
Sources pour le combat de Bouvignes
Archives SHt, Vincennes, les rapports des officiers présents à Dinant le 15 août 14
JMO du 148ème ri
Photos de l'album du 148ème en 1912.
Notes du colonel Cadoux
Mémoire des Hommes, les fiches des "Morts pour la France"
Archives CICR, document sur A. Manesse.
Archives Evêché, la paroisse de Bouvignes
Cartes postales anciennes et photos personnelles.
Sources pour le lieutenant Péluchon
Archives de Vincennes, dossiers officiers
Archives départementales en lignes , état civil, naissances et mariages et décès de Caubon Saint-Sauveur (Lot et Garonne) et de Valence (Tarn et Garonne)
Archives départementales du Lot et Garonne, registre de la matricule.
Journal officiel (Gallica) 1902, 1903 et 1904 aux dates, jours et mois, reprises dans le texte.
Archives du CICR, inhumation du lieutenant Péluchon
Mémoire des Hommes, la fiche MPLF
Cartes postales anciennes
Photos personnelles du musée de Saint-Maixant l'Ecole
Merci pour leur partage d'informations à
Mme A. Duchène
M. Bazias,
et D. Laheyne