Le 15 août 1914, à Dinant
Ce texte n’explique pas les combats de Dinant dans leur ensemble, des travaux très sérieux se sont penchés sur la question.
Inutile donc d’y revenir. Plus simplement, par des extraits de documents, nous tenterons de situer les éléments du 148ème ri
dans « l’affaire de Dinant ».
Le IIIème bataillon est laissé seul et sans appui d'artillerie à Dinant, Bouvignes et Anseremme pour tenir tous les débouchés
La situation va vite devenir problématique et ce n'est qu'après de multiples sollicitations du commandant Bertrand que le 33ème régiment d'infanterie sera envoyé en renfort... toujous sans artillerie!
Le 9 août, une section du 148ème RI occupait déjà la citadelle de Dinant. Une rotation s'effectuait quotidiennement et lorsque le 15 août, la section de garde du 148ème effectue sa patrouille, les Allemands s'avançaient déjà vers Dinant.
Carte extraite de l'historique du 13ème bn des chasseurs saxon
Tôt le matin, les Allemands, débouchant de Sorinnes, investissent le plateau qui domine la ville de Dinant.
" Le lendemain, 15 août, ... de bon matin..., nous vîmes arriver partout des soldats allemands en moins de temps qu'il ne fait pour le dire, tout fut entouré, les clôtures partout coupées et les haies coupées pour se frayer un passage et en-dessous de la ferme (Herbuchenne) ce n'était que mitrailleuses..." raconte la fermière du lieu.
1-positions françaises, 2-premier combat pour la prise de la citadelle, 3-Sorinnes, départ de l'attaque, 4-la ferme d'Herbuchenne.
Le 15 août à l’aube….
Rapport du commandant Bertrand, chef du IIIème bataillon du 148ème RI
« 06h. Dinant est attaqué par des unités d’infanterie appuyées par des mitrailleuses et une batterie d’artillerie ». L’attaque est frontale, Bouvignes, Citadelle et Anseremme sont sous le feu ennemi. Un des objectifs premiers de l’ennemi est de déloger les défenseurs de la Citadelle afin de pouvoir se rapprocher des crêtes mosanes, cette action permettant de dominer le fleuve, la ville et ses ponts.Les hommes du 148ème occupent la citadelle pendant que deux compagnies du 33ème Ri envoyées en renforts occupent le terrain.
Les deux compagnies disposées devant la citadelle soutiennent le premier choc mais la pression est trop forte, c’est un premier repli vers la citadelle. Les avant-gardes allemandes sont proches. Malgré une défense acharnée, les lignes cèdent. Jusque 11 heures, la défense tient encore mais « à ce moment, décimées et sans aucun appui d’artillerie », le commandant Grasse (33ème ri) se résout à quitter la position. Un dernier combat a lieu dans la forteresse même, un combat à la baïonnette.
Un combat à la baïonnette. Voici quelques années, les visiteurs de la Citadelle pouvaient voir cette représentation des combats dans les galeries souterraines.
Le verrou saute en fin de matinée. Profitant d’un certain flottement ennemi, les fantassins français s'échappent de la forteresse. Une descente vers la ville en empruntant la longue rampe d’escaliers sous le feu intense des mitrailleuses allemandes. Des blessés, des tués mais également 67 soldats capturés.
la rampe d'escaliers (la partie basse) menant vers la ville.
La rive droite est évacuée, laissant le champ libre aux troupes saxonnes.
Selon l'historique du bataillon allemand: « bientôt la rive de ce côté-ci de la Meuse fut abandonnée par l'ennemi (les Français); de ce fait, notre ligne de feu se trouvait sur les bords escarpés de la Meuse combattant les forces ennemies sur l'autre rive, plus plate. Les tireurs français se détachaient (( ?) étaient fort visibles) et étaient des cibles faciles à viser, comme sur un stand de tir ».
Depuis la Citadelle, les tireurs saxons découvrent les défenseurs du 148ème à peine protégés par un le muret qui longe les quais.
Extrait du JMO du 33ème ri.
Ce que confirme le commandant Bertrand dans son rapport. Les tirs des mitrailleuses et de l’artillerie qui avaient "été sans efficacité contre Dinant tant que la citadelle tenait, devinrent terribles. Les nôtres ainsi dominés étaient à peu près impuissants contre un ennemi abrité et masqué ». Les compagnies en subissaient tous les effets sans pouvoir riposter. La batterie était invisible et les mitrailleuses masquées derrière les arbres et les rochers. La batterie allemande ayant gagné par échelon les crêtes voisines de la citadelle exécuta un tir à démolir sur les parapets du pont. La position devenait intenable, il devenait de plus en plus impossible de rester dans Dinant.
C'est la compagnie du capitaine Boitel qui "eut le plus à souffrir"
Bertrand demande en urgence un appui d'artillerie mais en vain. Les tirs ennemis venant de la Citadelle font d’énormes ravages. Tenir dans Dinant devient peu à peu impossible. Depuis la citadelle, les tireurs allemands avaient une vue plongeante sur les positions françaises.
Extrait des notes du capitaine Denoble qui retraça, sur base des rapports des officiers, la chronologie des faits qui se sont déroulés à Dinant en ce 15 août.
« Il fallait à tout prix éviter les effets terribles d’un feu ennemi puisqu’il n’y avait pas moyen d’y répondre » explique encore Bertrand. À ce moment, les défenseurs de la citadelle débouchent sur la rive droite juste en face du pont. Pendant la traversée du pont, les pertes s’alourdissent encore car ce sont des cibles faciles pour les tireurs embusqués sur les hauteurs. Sur la rive droite totalement aux mains ennemies, « la compagnie du lieutenant von Bossequin (? graphie?) a réussi à atteindre la Meuse » capture 67 soldats français. D’autres fantassins qui n’ont pu se dégager, se cachent dans les maisons. À peine les rescapés du fort ont-ils passé le pont que des mitrailleuses allemandes appuyées par de l’infanterie se positionnent sur la rive droite, face au pont, L’ennemi estime pouvoir profiter de ce mouvement de flottement chez les Français pour tenter le franchissement du fleuve.
Les avant-gardes saxonnes recherchent les défenseurs restés sur la rive droite du fleuve
Extrait du JMO du 33ème ri.
La statue de Charles De Gaulle à Dinant, près de l'endroit où il fut blessé.
Craignant que l'ennemi ne poursuive sur sa lancée et ne franchisse le pont, le commandant Bertrand lance une contre-attaque. C’est la 11ème compagnie du 33ème RI du capitaine Maes qui est lancée sur le pont. Parmi les fantassins, un jeune lieutenant, Charles De Gaulle. Il sera blessé dès l’entame de la charge à la baïonnette. C'est un échec. Si l'on ne veut pas faire massacrer toute la compagnie, il faut se replier. La décision est prise. Vers 11h 30, le chef de bataillon Bertrand donne l’ordre de décrocher :.« La route de Philippeville et la voie ferrée étaient balayées par les balles des mitrailleuses, je me suis, avec le lieutenant Jacquelot et une poignée d’hommes, retiré par ladite route. Le capitaine Boitel et un certain nombre d’hommes de la 12ème compagnie gagnèrent cette route par le collège de Dinant. Les officiers de la 10ème compagnie et le sous lieutenant de la 12ème compagnie se jetèrent avec ce qui leur restait d’hommes dans les maisons et se retiraient par les jardins ». Quelques Allemands, (quatre hommes et un sous-officier) passent sur la rive gauche mais heureusement ne poussent pas leur effort plus loin que les premiers faubourgs de la ville.
Des hommes du 148ème n'ayant pu décrocher se cachent dans les maisons en attendant un éventuel retour du régiment.
La route de la retraite sous le feu de la citadelle, direction Onhaye
L'itinéraire de repli est sous le feu ennemi depuis la citadelle
Dinant est tombé aux mains ennemies!
« Vers 13 heures notre artillerie commençait à intervenir et permettait aux hommes restés dans Dinant de se reformer sous les ordres de leurs officiers. Les compagnies disloquées se sont dirigées en partie vers Anthée ou Serville, (10ème et 12ème cies) et en partie sur Hastières (9ème cie) ».
La reconquête de la ville
Le IIIBn/ 148ème s'est retiré de la ville. Il n'y reste que quelques petits groupes de soldats cachés dans les caves des maisons et qui attendent un éventuel retour de leur régiment. L’artillerie française commence à donner. Les 75 (canons) français supérieurs en efficacité aux 77 (canons) allemands renversent la situation. La bonne fortune des armes change de camps. Les pertes sont du côté ennemi. Les 8ème et 73ème RI, chargés de la reprise de la ville, traversent le fleuve, se répandent sur la rive droite, les hommes du 8ème Ri montent à l’assaut de la citadelle. Ce qu’ils vont y découvrir est terrible. "Sur le glacis, des corps de soldats dont plusieurs du 148ème, un spectacle horrible, des corps décapités, mutilés, des blessés qui ont été achevés, percés de coups de baïonnette. Un caporal du 148ème « pendu par son ceinturon avait les parties coupées ».
Les troupes saxonnes se dérobent, non sans mal, sous le feu des artilleurs français, abandonnant des morts et des blessés.
Que sont devenues les sections du 148ème RI présentes sur la rive droite?
Le commandant Bertrand ne fait jamais allusion à leur retour sur la rive gauche du fleuve. Les deux sections qui se trouvaient à la Citadelle ont certainement été, (en partie du moins) capturées. Les historiques allemands donnent le nombre de 24 soldats du 148ème ri capturés.
Extrait de l'historique allemand, 24 soldats du 148ème ri.
Certainement ceux de la citadelle, les seuls à avoir été au contact des Saxons. . Quant à la section posée à Leffe et qui résiste « tant bien que mal derrière les barricades » son destin est plus incertain. . Plusieurs soldats du 148ème ont échappé à la captivité en se cachant dans les caves des maisons et délivrés lors du retour des 8ème et 73ème RI. . Les défenseurs de Leffe sont-ils de ceux-là? Les historiques du 148ème RI en parlent et affirment qu'elles ont été toutes les trois récupérées. Étonnant surtout pour les deux en défense de la forteresse. A prendre donc avec les réserves d'usage!
http://tableaudhonneur.free.fr/148eRI-V2.pdf
https://horizon14-18.eu/wa_files/historique_20148RI.pdf
Le 148ème reprend Dinant? et délivre 3 sections..??
Le lendemain, c’est le temps des expertises.
Le colonel Cadoux fait son rapport auprès de la hiérarchie :
Un premier rapport alors que toutes les unités ne sont pas encore rentrées. Cadoux l'écrit d'ailleurs " aucune nouvelle de la 9ème cie qui occupait le pont d'Anseremme". Puis un second alors que tout le bataillon s'est reconstitué à Annevoie.
Ces pertes seront revues fortement à la hausse. Malheureusement!
Au nom de tous les morts
Le médecin aide-major Cambon, tué en allant soigner des blessés sur le terrain.
La citation du soldat Beth, décoré à titre posthume Croix de guerre avec étoile de bronze.
L'avis du colonel sur "l'affaire de Dinant"
De plus, et la chose est étonnante, à mots couverts, le colonel Cadoux désavoue son subalterne et donne son avis sur la conduite de son IIIème bataillon, du moins sur son chef. Il n’est pas tendre « ... le commandant Bertrand s’est accordé des droits qu’il n’avait pas. Très consciencieux et s’étant toujours bien comporté depuis le début de la campagne, je n’ose le blâmer mais il a pris une responsabilité qui en fait une victime. Il est également fâcheux que dès le début de la journée, un chef fut pris d’affolement ainsi qu’en témoignent les multiples coups de téléphone qu’il donna pour demander de tous côtés l’appui du canon à opposer au 77 allemand qui avec les échos de la vallée fit plus de bruit que de besogne ».
Sources générales
JMO du 148ème ri
JMO du 33ème ri
Archives du commandant Denoble, archives française.
Mémoire des Hommes, fiches des morts pour la France,
Journal officiel , décrets et lois, citations des soldats
Historique du 12ème bataillon de chasseurs saxon
Photos personnelles
Merci à ,A. Metzler pour sa photo sur le combat à la baïonnette